Quelques lignes à propos d’un écrivain-voyageur et d’un ouvrage intitulé ‘’Touriste’’

Julien Blanc-Gras est un drôle de type, pas prétentieux pour deux sous (‘’Je représente un sept milliardième de l’humanité’’), c’est un bon point pour lui.

Dans les premières pages de ‘’Touriste’’, il évoque le globe terrestre qui lui servait de nounours et le premier livre qu’il a ouvert : un atlas. On conviendra qu’il montrait des prédispositions au nomadisme.

Et page 12, il nous livre cette profession de foi : ‘’Je n’ai pas l’intention de me proclamer explorateur. Je ne veux ni conquérir les sommets vertigineux, ni braver les déserts infernaux. Je ne suis pas si exigeant. Touriste, ça me suffit. […] Le touriste inspire le dédain, j’en suis bien conscient. Ce serait un être mou, au dilettantisme disgracieux. C’est un cliché qui résulte d’une honte de soi, car on est toujours le touriste de quelqu’un.’’ Et je dois dire que ces propos ne peuvent que ravir tous ceux qui, comme votre serviteur, n’ont jamais trouvé d’alibi culturel, scientifique, humanitaire ni journalistique pour justifier leurs voyages.

Dans cet ouvrage paru en 2011 (et dont, au passage, la table des matières a été rebaptisée fort à propos table d’orientation), il nous fait part à plusieurs reprises de réflexions intéressantes sur la faune de notre planète. Entre autres

– ‘’De sources concordantes, l’hippopotame est l’animal le plus con du continent africain-hormis la poule, mais c’est un autre sujet’’

–  au Mozambique : ‘’Il faut se résoudre à passer une nuit ici, ponctuée par le bêlement têtu d’une chèvre imbécile’’

– en Inde, après s’être fait voler son repas par des singes, des propos peut-être moins bienveillants : ‘’Penser à faire une donation à un laboratoire pharmaceutique pratiquant des expériences cruelles sur les singes’’

Mais, on l’aura compris, la faune n’est pas la priorité de l’auteur, d’avantage porté sur les rencontres et les situations improbables.

Les premiers chapitres nous entraînent au Royaume-Uni, à Londres d’abord où il évoque brièvement une conquête en ‘’robe noire sophistiquée, travaillant dans la mode’’ (nous en saurons à peine plus) avant de nous emmener au cœur de l’Angleterre la plus austère et le plus pauvre, à Hull exactement. Là, on peut se poser légitimement la question : ‘’Hull’’ et ‘’touriste’’ sont-ils des mots compatibles ? Eh bien, pour Julien Blanc-Gras, oui, et il nous dresse un tableau remarquable du cloisonnement social entre étudiants et ouvriers, ainsi que des portraits formidables de ses compagnons de chaîne à la conserverie de poisson, notamment Azad, médecin ayant fui le Kurdistan irakien. ‘’Je travaillais à l’usine pour pouvoir voyager. Ils avaient beaucoup, beaucoup voyagé pour venir travailler à l’usine’’ note-t-il, bien conscient du privilège représenté par un passeport européen.

Sans passer en revue tous les pays visités, on ne peut pas ignorer la Colombie, Medellin et son ‘’véritable Pablo Escobar tour’’, la violence, la corruption. Un pays où on danse partout ‘’car en dépit de leurs catastrophes éternelles et quotidiennes, les Colombiens ont moins peur que nous.’’

Et puis l’Inde, forcément, où il entame une brillante carrière d’acteur (figurant -pour 7€- dans un film qu’il trouvera plus tard dans une boutique de la gare du Nord), trop tôt interrompue pour traverser le pays en train, se rendre en pèlerinage à Rishikesh où les Beatles sont venus en 1968 s’initier à la méditation transcendantale. A Bénarès, il peine un peu sur la question des sadhus : ‘’Les sadhus mendient, fument et portent des tuniques orange. D’un point de vue occidental, ça ressemble donc à un mélange de clodo, de rasta et de supporter hollandais’’ hasarde-t-il, avant de concéder ‘’C’est un peu plus compliqué que ça’’ (bon, culturellement, ça n’est peut-être pas le passage le plus riche du livre)

A Lumbini (Népal), il visite le temple marquant le lieu de naissance de Bouddha, mais ne semble pas enthousiasmé par le lieu (‘’S’il y a une justice cosmique, l’architecte qui a conçu le bâtiment va se réincarner en blatte’’)

L’aventure se poursuit à Djerba, en club vacances pour un magazine (oui, son statut a changé, puisqu’il collabore désormais aux rubriques ‘’Evasion’’ de quelques journaux). Ca n’est pas l’enfer mais il se retrouve confronté au ‘’paradoxe du touriste : le principal désagrément réside dans l’existence de ses semblables’’. Logiquement, il prend un bus pour Tataouine…

Dans le sud marocain, il rencontre Chachi ‘’Il a l’air impassible. Il a le regard profond de ceux qui sont nés dans le désert. ’’ Mais Chachi se révélera être un bon chameau, sur le dos duquel l’auteur se pose la question à laquelle aucun touriste un peu lucide ne peut échapper : ‘’Le mot ridicule a-t-il été inventé pour moi en ce moment ?’’

Envoyé en mission en Polynésie, l’auteur fait le difficile : ‘’Le paradis ne m’intéresse pas. Les îles de rêve, on s’y morfond. On en fait le tour, on prend un bain et il n’y a plus qu’à se saouler.[…] Je rêve de Pyongyang et de Kampala, on m’envoie à Papeete. Voyez le niveau de mon drame.’’ Il est accompagné de Brad, caricature de photographe de mode (‘’Brad considère comme un échec personnel le fait de ne pas coucher avec tous les mannequins qu’il photographie’’), pour couvrir une compétition de surf : ‘’On pourrait moquer la spiritualité de pacotille qui entoure le monde du surf […] mais ce n’est pas nécessaire. Ces types consacrent leur vie à la beauté du geste. […] Ce n’est pas rien.’’

L’auteur évoque une (très, très) brève relation amoureuse au Guatemala et part ensuite pour Israël. Le trajet sera chaotique et on devinera un léger ressentiment envers les aéroports et les contrôles de sécurité, mais le séjour entre Israël et Palestine nous vaut quelques fort belles pages sur Jérusalem, des gens de bonne volonté de part de d’autre broyés par l’Histoire, les kibboutz et l’idéal perdu d’Israël.

On évoquera une expérience malheureuse à Madagascar, où l’auteur a rejoint une expédition océanographique dirigée par un petit tyran, expérience écourtée par l’attitude du dit tyran dans des circonstances dramatiques.

Après le Brésil et ses visites organisées de favelas (‘’zoo de pauvres…’’), on passe pas mal de temps en Chine, où l’auteur n’échappe pas à certaines facilités : ‘’Cliché : les Chinois mangent n’importe quoi. Ce n’est pas faux. Sur un marché nocturne, les stands regorgent de scorpions grillé, d’anguilles à consommer vivantes et de foie de chacal en sauce (disons que c’est comme ça que j’identifie les plats)’’ Il participe à une croisière sur le Yang Tsé, en compagnie de toute une nouvelle classe moyenne chinoise qui découvre le tourisme. On y picole sec dès le matin mais il accepte pourtant de se  joindre aux Chinois qui l’invitent aussi tôt : ‘’Les relations franco-chinoises n’ont pas besoin d’un incident diplomatique’’

Bref, vous l’aurez compris, ce livre se dévore, le plus souvent un sourire béat sur les lèvres.

En primo-conclusion, petite réflexion dans une forêt au Mozambique : ‘’Vu d’ici, on se rend bien compte que l’humanité n’a rien d’indispensable au fonctionnement de cette planète. […] Nous sommes les touristes de luxe de l’évolution, les simples passagers d’une époque. Nous avons visité la terre, nous l’avons magnifiée et dévastée, nous allons repartir.’’

Et, en ultime conclusion, cette petite merveille (page 152) :

‘’Tu as déjà tutoyé l’intangible ?

– Non, ça, il y a longtemps que j’ai arrêté.’’

Voilà.

7.60€ en livre de poche.

Bonne lecture !