On a déjà parlé ici de Sylvain Prudhomme, à propos de “Par les routes”, roman dont le héros s’appelle “l’auto-stoppeur”.

Cet auteur connaît bien l’Afrique, pour y avoir résidé et travaillé.

“Les grands” se déroule en Guinée-Bissau en 2012. Nous suivons Couto, guitariste d’un groupe fameux jusqu’en Europe à fin des années 1970. Nous le suivons dans ses souvenirs de gloire comme dans son errance dans les rues de 2012, où un coup d’état se prépare.

Sylvain Prudhomme nous livre un remarquable portrait, un petit précis d’histoire post-coloniale et surtout, surtout, il nous emmène en Afrique, avec un rare talent.

Parmi d’autres pages remarquables, nous ne résistons au plaisir de recopier ces quelques lignes qui nous parlent de ce gouffre qui sépare la rue africaine de la rue européenne :

Pourquoi ils ne comptaient pas ça dans leurs maudits indices de prospérité, les économistes du monde entier ? Pourquoi ça n’entrait pas dans leurs classements censés mesurer le bonheur des uns et des autres, mieux que ça, le développement humain, puisque leur arrogance ne reculait pas devant ces mots. L’élégance des hommes et des femmes. La splendeur des coiffures. La richesse des parfums. La sûreté du goût de chaque habit, chaque coupe, chaque broderie. Le désir qui se rallumait à la moindre promenade en ville, vous rappelant toujours à la vie.

C’était ce qui avait le plus frappé Couto la première fois qu’il avait été en Europe. Des compatriotes lui avaient toujours dit là-bas tu verras c’est différent, les gens ne sont pas chaleureux comme chez nous. Couto n’avait pas trouvé le Portugais moins chaleureux, non. Les Portugais les avaient accueillis comme des rois, lui et les autres, et les premières minutes il était resté baba devant la beauté des façades d’immeubles, des vitrines d magasins, des balcons en pierre, des terrasses de cafés. Une chose l’avait déçu : la tenue des gens. Leurs habits mal taillés, faits au kilomètre pour d’autres corps que les leurs, dans des matières ternes. Leur pas voûté dans de grands manteaux qui noyaient leurs silhouettes. C’était ça les Européens, c’étaient ces gens fatigués, finis ?

Ici même le dernier traîne-savate du marché avait la silhouette altière, l’allure noble. Pourquoi on ne classait pas les pays en fonction de ça aussi ? L’habileté des gens à se vêtir. A préparer leur corps pour les autres. A l’offrir aux regards sans gêne ni gestes superflus…

Eh oui…

En livre de poche. 8.10€