La piste se termine au pied d’un éboulis de rochers fermant l’étroit défilé. Nous bivouaquons dans le cratère d’un volcan éteint. Les versants sont troués de cavités telles des regards noirs pesant sur notre campement. Le vent tourbillonne et, vers 19 h, le cône se remplit d’ombres et de fraîcheur. Couronné par les lèvres déchiquetées du volcan, le ciel limpide illumine encore le carré d’herbe où nous sommes installés.

Nous avons passé ce nouveau mois de voyage dans la péninsule de Tröllaskagi bordée à l’ouest par le Skagafjördur et à l’est par l’Eyjafjördur. Au fond du fjord oriental se blottissent Akureyri, la seconde ville du pays, et ses 18 000 habitants. Tout au nord, en plein océan arctique, se situe l’île de Grimsey, la terre la plus septentrionale de l’Islande où nous avions séjourné l’été passé lors de la récolte des œufs de guillemots.

Deux événements marquent le mois d’août dans le Tröllaskagi : la fête du hareng à Siglufjördur et le jour du pêcheur à Dalvik.

Tout au nord de la péninsule, Siglufjördur fut, pendant la première moitié du 20e siècle, capitale du hareng. À la saison de la pêche, le fjord se remplissait de goélettes venues déposer leurs cargaisons sur les quais de l’usine installée ici par les Norvégiens. On venait des plus lointaines campagnes islandaises travailler au salage et à la mise en tonneaux du poisson. Les rues animées, les maisons de bois, les cafés et les dancings donnaient à Siglufjördur des allures de Klondike islandais. Au début des années 60 le hareng a disparu victime de la surpêche. Reste de cette glorieuse et insouciante époque un remarquable musée sis dans des locaux de l’ancienne entreprise et la fête du hareng. Dégustations, scènes de salage à l’ancienne, musiques, chansons populaires et poésies… Car si Siglufjördur ne compte plus aujourd’hui que 1 200 habitants elle a conservé la mémoire de sa richesse passée et son cercle des poètes. Chaque jour de la fête, nous nous régalons des déclamations et des chants de poètes sans comprendre leurs mots, sous le charme d’une langue à la musicalité envoûtante. Sur ses 335 000 habitants, le pays compte la plus grande proportion au monde d’écrivains et de poètes.

Le jour du pêcheur se fête dans chaque port d’Islande, mais c’est à Dalvik que ce pilier de la culture nationale, est le plus dignement honoré. En ce week-end de la mi-août, la route qui conduit d’Akureyri à Dalvik connaît son unique embouteillage de l’année. Des milliers d’Islandais affluent en camping-cars ou voitures et caravanes. Tous les espaces libres de la petite ville accueillent les festivaliers. On se retrouve-là en famille et entre amis, on tend les auvents et de petites clôtures en toile pour tenir à distance ceux qui ne sont pas du clan. Le jour du pêcheur est l’occasion de se réunir, de participer au plus important festival de musique du pays et de goûter aux mille et une façons de cuisiner l’incroyable diversité de poissons que les pêcheurs islandais tirent de la mer nourricière. Tout le jour, on déambule sur les quais entre les stands offrant jusqu’à satiété soupes de poisson, beignets de poisson, poisson grillé, poisson séché, poisson cru, fish ’n chips, poisson en sauce…. Pour l’accompagnement pas de Petit Blanc tiré du fût mais du Coca-cola, seule fausse note de la fête. À 22 h, la foule se serre sur les talus qui dominent la scène et le port. Couvertures, anoraks, bonnets et pulls de laine vierge sont de rigueur car lorsque l’énorme lune se posera sur la mer, la température ne sera plus que de quelques degrés. Il faut en boire des alcools de toutes les couleurs et chanter fort à l’unisson des artistes pour que les corps conservent une température raisonnable. Les meilleurs musiciens et chanteurs du pays se relaient sous les feux croisés de la scène pour le bonheur des spectateurs qu’alcool et musique rendent insensibles au froid.

Fin août. Les sternes ont quitté l’Islande pour leur longue migration vers les confins sud du monde. Dans quelques jours les moutons en liberté sur la lande seront rassemblés dans les retts où les fermiers procéderont à leur triage. Le ciel nu et froid se drapera d’aurores, prémisse de la longue nuit d’hiver.

Annie et Pierre

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