En voyage en terres écossaises, Annie et Pierre tous deux membres de l’équipe d’organisation Curieux Voyageurs nous embarquent un peu avec eux dans cette lettre chargée d’embruns et de vent iodé :

« Nous sommes installés à Portgordon, gros village au nord d’Aberdeen. Alignement de maisons basses aux toits sombres abritées des colères de la Mer du Nord par une digue. À marée basse, la terre affleure loin au large offrant aux phoques des plages où ils paressent en gémissant.

Nous avons stationné notre camping-car près du port. Sitôt arrivés, nous sommes invités à prendre le thé dans le café communautaire. C’est notre quatrième voyage en Écosse et se confirme une fois encore la gentillesse spontanée des gens, leur art d’engager la conversation.

Nous avions quitté la veille à Aberdeen le ferry de la compagnie NorthLink, beau navire aux flancs ornés du portrait d’un Viking. Embarquement à Lerwick aux îles Shetland 16 h plus tôt et sitôt prévenus de la traversée inconfortable qui allait suivre. La tempête soufflant depuis plusieurs jours nous a fidèlement accompagnés en mer. Nuit blanche et nausées. Mais pourquoi naviguer si souvent lorsqu’on n’a pas le pied marin ? 

C’est des îles Shetland parcourues pendant deux semaines que nous allons parler brièvement dans cette lettre. Non des collines et des murets de pierre, de lande gorgée de marécages où broutent les moutons, des anciennes fermes aux toits emportés par la bourrasque, toutes ces touches qui imprègnent les paysages de mélancolie. Non des après-midis tricot où convivialité rime avec art. Non de ces Shetland-là mais des falaises noires frangées d’écume où se dressent les phares.

Dès notre arrivée à Lerwick la Capitale, nous avons pris la route pour Unst, la plus nordique des îles habitées de l’archipel. Tout au nord de Unst, la réserve naturelle de Hermaness. Une heure de marche à travers lande et marécages et la terre s’arrête. Au-delà, le vertige des falaises, les gerbes d’écume, le vol des fous, le vent sans répit, le bleu profond de l’océan. Sur un îlot proche, Muckle Flugga, le phare du bout du monde…

Quelques mois plus tôt, lors d’un voyage aux îles Féroé, nous avions croisé au large de Muckle Flugga à bord du Norrona qui assure la liaison maritime entre le Danemark et l’Islande. Fondu dans l’embrun, un phare sur un îlot noir avec, en arrière-plan, des falaises et les taches claires des colonies de fous. Un prochain voyage doit faire étape-là avions-nous pensé. Vision romantique d’hommes vivant des semaines durant dans la solitude, le froid, la violence de l’océan pour lancer la lumière et le hurlement de la corne de brume dans la nuit des marins. Si Muckle Fuggla veille encore dans le vacarme des tempêtes, la poésie a laissé place à l’automatisation. Le gardien de phare n’est plus mais son âme habite toujours la tour blanche au-dessus des flots. Muckle FluggaSumburgh Head  tout au sud du Mainland, Eshaness, Bressay…, ces points finals de la route ou du chemin sont aussi pour nous de formidables invitations à de nouveaux départs.

Nous sommes de retour sur le « continent » écossais. Les jours sont courts, froids, humides. Nous avions oublié que l’automne s’annonce par les teintes chaudes des feuillages ! Pas un arbre ne pousse sur la lande des îles Shetland !

Annie et Pierre »